Résumé :
Pendu !
La corde lui râpait le cou ; cela faisait maintenant des heures que Fredo était debout sur son tonneau. Si ses genoux fléchissaient, le nœud se resserrerait... Les jambes raidies de crampes, Fredo ricana en ravalant ses larmes. Non, ceux de l'autre bande ne voulaient pas sa mort.
Tout cela n'était qu'un jeu, rien qu'un jeu !
Extrait :
" Clignotant arriva essoufflé devant la propriété de la Sans-Culotte. Il regarda à droite, à gauche : personne. Il se glissa dans le fossé. Il constata que la porte de la cave avait été forcée, forfait qu'il attribuait à Jo Poubelle. Mais quand il aperçut les mégots de Royales, il demeura un moment dans l'expectative. Il ne lui vint pas à l'idée que des gosses puissent fumer des blendes. Un fumeur de blondes, pour lui, c'était soit un rupin, soit un maquereau. Il examina les lieux. Point de butin, point de Jo Poubelle. Il se dit, tiens, comment se fait-il qu'on ait pas eu l'idée de visiter cette cave auparavant ? Sur les étagères, il y avait des bricoles dignes d'intérêt : des cannes à pêche, des moulinets, des outils. Il nota d'y repenser.
Il monta dans le jardin. Encore des mégots. Il examina les ouatères de la passerelle - drôle de construction - et constata que les pointes étaient rouillées, preuve que les planches avaient été clouées depuis longtemps. Il essaya de voir à l'intérieur : un vieux tas de frusques, apparemment.
Satisfait de ses déductions, mais déconcerté par le mystère qui planait sur la disparition de Jo Poubelle et du butin, il déboucha sur le sentier. Il ne remarqua pas, assise sur une pierre à contempler la ville, la veuve Duroc, une dissidente de la rue de la Pompe. Ayant eu le tort d'épouser, elle, fille d'officier, un médiocre coiffeur pour hommes sans ambition, elle avait dû vivre une partie de sa vie dans cette rue crasseuse. Heureusement que le sort s'était rattrapé. Son mari était mort dans la fleur de l'âge. Grâce aux assurances, elle avait acheté une maisonnette sur le Coteau, à la limite de la lande et des genêts. Propriétaire de cette espèce d'avant-poste aux confins du monde civilisé, elle avait retourné sa veste. Elle n'éprouvait plus que mépris pour la lie pouilleuse de son ancienne rue.
La veuve connaissait Clignotant, ordure parmi les ordures. Son mari lui avait souvent parlé de ce client-là, dont les cheveux étaient poisseux de goudron, au point de bousiller la tondeuse et les ciseaux. Que mijotait-il, à sortir ainsi du jardin de la Sans-Culotte ? Elle tira un calepin de son sac à main et nota le jour, l'heure et la minute. On ne savait jamais. Si mauvais coup il y avait dans l'air, elle témoignerait. "
Critiques :
" - Les bandes du Coteau et de la rue de la Pompe s'affrontent pour une maison et surtout pour un jardin abandonné. Tout se passe bien jusqu'à ce qu'un jour, à la suite d'un duel entre les deux bandes, on enlève Nanou la seule fille des deux bandes.
Ce livre est intéressant mais un peu cruel. Il porte une attention particulière sur différents niveaux de la société. "
François Picard (13 ans)
" - Le 24 juin 1999
LA DEDICACE DE L'AUTEUR
J'ai voulu donner à lire aux jeunes un roman sur l'intolérance et le racisme et dont l'action soit située loin des "banlieues" que je ne connais pas, car j'habite à la campagne. L'époque (les années 60) et le lieu (une petite ville bretonne) prennent aujourd'hui une valeur métaphorique à mes yeux plus favorable à la réflexion que le "brut de béton" de l'actualité. Le racisme et la bêtise ne datent pas d'hier, c'est le message. Mes singes d'hommes singent leurs pères dans leurs pires défauts, mais innocemment, si l'on peut dire. Ils se font la guerre, jugent a priori et condamnent à mort. Au dernier chapitre, devenus adultes, êtres de raison et parents à leur tour, ils se repentent et tirent la morale de cet épisode de leur jeunesse : "On a été de vrais petits salauds... Quand on sort de l'épreuve de l'enfance en devenant un homme digne de ce nom, on peut parler d'une espèce de miracle qui a mis dix, quinze, vingt ans à s'accomplir". Leur victime a survécu et a été recueillie par l'un des juges en culottes courtes, devenu avocat. "Duraille, hein, d'imaginer que tu vas l'avoir en face de toi ? dit Dudule - Qu'est-ce que je lui dirai ? - Un mot, un seul, pour commencer : pardon". "
Hervé Jaouen
" - Un roman noir qui aborde avec recul, la cruauté et la violence dont font parfois preuve les enfants.
Deux bandes de gamins se disputent le jardin d'une maison abandonnée. Un soir, ceux de la bande du Coteau, Dudule et Zeu, blessent mortellement un marginal en le volant. Le lendemain, ils se font attaquer par la bande de la Pompe, dirigée par Fredo qui leur pique le sac contenant les objets volés. Quelques jours plus tard, la bande du Coteau le fait prisonnier et l'abandonne pendu à une poutre de la maison abandonnée. Fredo restera paralysé à vie. Dix-sept ans plus tard, Dudule et Zeu se retrouvent par hasard et c'est l'occasion d'une ultime réunion de la bande pour demander pardon à Fredo. "
" - Aujourd'hui, on parlerait de "gangs". Là, ce sont deux bandes des années 60 qui s'affrontent pour un carré de terrain abandonné, à un âge où l'innocence, qui devrait encore être de mise, a laissé la place à la haine et à la cruauté.
Où comment des enfants jouent à la guerre et deviennent des criminels. "
" - La violence, sous différentes formes, physique ou psychologique, a toujours été présente dans les ouvrages de littérature de jeunesse. C'est la façon dont elle est traitée qui évolue dans le temps.
Jusqu'où la littérature peut-elle aller face à des enfants dont la personnalité est encore en construction ?
Jusqu'à présent, les romans se concluaient par la victoire du bien sur le mal. Singes d'hommes, le dernier roman d'Hervé Jaouen, dépasse cette étape.
Quelques réflexions sur cet ouvrage qui est paru en avril 99 dans la collection Lune Noire (Editions Nathan).
Hervé Jaouen est un maître du roman noir dont il aime repousser les limites ; ici, pas de policier mais une tension à chaque ligne qui conduit le lecteur presque malgré lui vers l'implacable issue : deux bandes de gamins se disputent l'espace d'un été le jardin d'une maison abandonnée. Or le jeu tourne mal...
Comme pour une sorte de Guerre des boutons, dramatique, Hervé Jaouen, s'est replongé dans ses souvenirs d'enfance, ces années soixante au cours desquelles les enfants jouaient dehors, livrés à eux-mêmes, bâtissant des cabanes propres à définir des territoires bien à eux...
Ce faisant, s'il exalte les vacances en bande, en liberté et en autonomie - par opposition à la solitude et à l'enfermement des enfants accaparés par le jeux vidéo -, Hervé Jaouen pointe toute la violence, toute l'agressivité qui couve sous les fronts lisses et sages des enfants et dont les adultes n'ont parfois pas idée ; il montre aussi à quel point quand on est enfant, on n'a souvent pas conscience des conséquences d'une action.
Ainsi les jeunes héros de Singes d'hommes jouent à la guerre ; ils élaborent une stratégie, fabriquent des armes ou s'en procurent, cherchent à vaincre l'ennemi, à faire des prisonniers qu'ils pourront rançonner... et, tout à leur jeu, séparés de la réalité et loin de la responsabilité des adultes, ils tuent... par accident, certes, mais comme un petit enfant cherche à cacher sa bêtise, les garçons de la bande du Coteau dissimulent leur cadavre avant d'aller se coucher, sans remords, soulagés que les parents ne se soient aperçus de rien...
Quel est le degré de conscience des enfants ? Où finit le jeu, où commence la réalité ? Voilà quelques questions que pose ce roman inhabituel.
Un autre point développé dans Singes d'hommes est la question sociale ; l'auteur a voulu donner une petite leçon de tolérance à l'époque où les banlieues, marginalisées, s'enflamment.
Le roman oppose en effet deux bandes, celle du Coteau, de milieu petit-bourgeois, et celle de la Pompe, issue du quart monde. Par une sorte de déterminisme social, la bande du Coteau ne sera apparemment pas affectée par l'été meurtrier, tandis que ceux de la Pompe perdront beaucoup.
Ce qui compte surtout, c'est la conclusion de cette guerre sans merci : l'affrontement vain et la surenchère des bandes rivales aboutit à un gâchis lamentable. Où sont les parents ? Qui donne les repères ? Dans le cas de la bande du Coteau, on remarque surtout leur absence ; pour la bande de la Pompe, on assiste à la déchéance... Heures vides à remplir, guerres de territoires, fascination pour les armes, identité de l'individu liée à celle de la bande : la problématique de nombreux faits divers actuels est posée dans ce roman.
Le dernier point développé par Hervé Jaouen est l'utilisation délibérée du langage familier, voire de l'argot.
Les dialogues de Singes d'hommes font l'objet d'un gros travail littéraire ; ils sont écrits dans un langage "codé" qui est donné pour reproduire fidèlement la réalité des phrases employées par les protagonistes ; ce faisant l'auteur a eu le sentiment de lever une certaine hypocrisie du livre comme une référence, un repère stable et normatif et non une création. Or on peut penser que la plupart du temps, à 13 ans, les repères sont acquis, et que les enfants comprendront les circonstances du langage familier et argotique, d'autant plus qu'il est lié à l'époque à laquelle se déroule l'action.
En bref, on peut dire que Singes d'hommes n'est pas un livre léger mais que, comme un livre d'auteur, il suscitera réflexions et débats dans la cité... "
" - Dans une petite ville de province, dans les années 1960, deux bandes d'enfants s'affrontent, dans un curieux mélange d'innocence, d'inconscience et de violence absurde. En décrivant le choc des personnalités et des classes sociales, les rapports avec les adultes, les relations entre les filles et les garçons, l'auteur se penche sur son enfance (le roman semble en partie autobiographique) avec un mélange de nostalgie et de peur rétrospective. Cette ambiguïté, qui secoue les idées convenues sur l'enfance, donne tout son intérêt à ce roman efficacement mené, inquiétant et dur. "
" - Deux petites bandes de gamins s'affrontent dans un univers sordide. Gamins ? Pas si sûr. "Singes d'hommes" plutôt. Les uns viennent d'un quartier habité par la classe moyenne, les autres de la Pompe, alias la zone. Ils se battent pour conquérir la suprématie sur leur territoire de prédilection, une maison abandonnée et son jardin, située exactement entre les deux quartiers. Batailles, embuscades, pièges, trahisons sont au menu de leurs jeux. Le résultat n'est pas brillant : un mort, un paralysé à vie et un condamné innocent. Ces crimes de singes d'hommes, ils les paieront toute leur vie, car ils ne les oublieront pas et essaieront de les racheter.
Un roman noir, dur. Mais par insoutenable. Hervé Jaouen a su s'adapter aux contraintes d'un public qui n'est pas forcément celui des romans noirs. Cependant, le dernier chapitre, un peu moralisateur, un peu réparateur, est de trop. Par son didactisme, il ressemble à une pièce rapportée censée gommer la violence du livre. Un peu dommage. Cette histoire qui flirte avec les limites de la littérature de jeunesse et de son "littérairement correct" n'en est pas moins un bon et sombre roman.
Ceci étant dit, le décalage entre la mise en page Lune noire et le public visé (à partir de 13 ans) ressemble à un gouffre. Le livre saura-t-il néanmoins trouver son public ? Là est la question. "
Éric Sanvoisin - Encre Noire - Juillet 1999
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