Résumé :
Il était une fois deux sœurs qui habitaient sur un bateau dans le port de Stockholm : Ingrid la casanière et Monika l’aventurière.
Partie se balader en France, depuis plusieurs semaines Monika n’a pas donné de ses nouvelles. Jusqu’au jour où Ingrid reçoit un S.O.S. à faire dresser les cheveux sur la tête.
Avec l’aide de Sven, champion du surf sur la Toile, Ingrid découvre l’endroit d’où Monika a posté son appel au secours : quelque part dans le Centre-Bretagne, une ferme et maison d’hôtes dont le site Internet accrocheur attire des candidates au woofing. Ingrid postule, sa candidature est retenue, elle fonce à son tour se jeter dans la gueule du loup.
Ironie de la toponymie, la traduction en français du nom de la ferme, Toullaouen, ne manquait pas de pertinence. À « Trou joyeux », Léon le Bio assassinait gaiement.
Humour noir au menu et suspense à tous les étages de cette bonne auberge où Ösdur, fier taureau de race highlander, joue le rôle de bourreau des blondes nordiques. Pauvre bête.
Les parrains du gros bébé taurin : Raymond Queneau (On est toujours trop bon avec les femmes), Charles Williams (Fantasia chez les ploucs), Robert Bloch (Psychose), Pierre Siniac (Femmes blafardes), Erskine Caldwell (La Route au tabac), Claude Autant-Lara (L’Auberge rouge), etc.
Né d’un père écossais et d’une mère suédoise d’ascendance bretonne, Gunnar Persson partage son temps entre les Côtes-d’Armor et Stockholm où il enseigne la littérature comparée. Passionné par les travaux de l’Ouvroir de littérature policière potentielle (Oulipopo), il est l’auteur d’un essai sur les « ironistes » du roman noir français. Ösdur est son premier ouvrage de fiction.
Stockholm
Stockholm
Extrait :
" – Permettez-moi de prendre vos bagages, dit un Léon le Bio classieux comme un concierge de palace. Votre chambre est à l’étage. Je passe devant.
Mansardée, la pièce avait été agencée dans le style Marie-Claire Maison dont le frère et la sœur s’étaient inspirés pour piéger les jolies grives migratrices à la glu d’une décoration cosy. Brise bise au crochet à la fenêtre ; plancher ciré en châtaignier ; bois de lit, armoire, commode et table de nuit en merisier de facture Louis-Philippe campagnard ; un bureau à rouleau en chêne ; un voltaire tapissé de toile écrue ; sur les étagères, une collection de fers à repasser antiques, de vieux outils agraires, des volumes de la Bibliothèque verte et autres objets chinés sur les étals du vide-greniers qu’organisent à la Sainte-Anne les dames patronnesses de Castelneblec’h ; éclairage indirect par des lampes aux abat-jour enjuponnés de perles, un vrai petit nid douillet où border la woofeuse endormie de charmante naïveté.
La salle de bain avait été achetée en kit chez Brico Dépôt et montée par Gégène, un invalide du travail officiel et auto-entrepreneur multiservices au black qui bossait à la perfection et à raison d’un litre de pif par heure et de trois heures par jour, après quoi il n’y voyait plus assez clair. Le bloc-douche, l’armoire en plastique moulé imitation teck et la cuvette de WC fleuraient bon l’âcreté du vinaigre de ménage que Marie-Céleste n’avait pas économisé.
– Très joli, dit Ingrid. Le wifi fonctionne ?
– Oui, mais n’espérez pas que je vous donne le mot de passe de ma box.
– Et pourquoi ?
– On vient chez nous pour se désintoxiquer de cette pesante modernité. Vous n’êtes pas d’accord ?
– Si, bien sûr.
– Je vous laisse vous installer. Prenez votre temps. Le dîner sera servi dans une heure.
Sur ces civilités, Léon le Bio se retira. Ingrid examina la porte. Pas de clé à la serrure, une simple targette pour fermer de l’intérieur. Elle poussa le verrou, alluma son smartphone, fut rassurée de voir quatre barres de 4G s’afficher. Elle passa la chambre au crible. Rien, aucun indice du séjour de Monika. Ailleurs, peut-être. Attendre et voir. Elle hésita à vider sa valise. Ne pas le faire aurait paru équivoque. Elle s’y résolut donc, bien qu’elle fût déterminée à ne pas s’attarder plus qu’il ne le faudrait dans cette ferme dont elle ressentait déjà les ondes négatives. Ce type, avec ces lueurs de lubricité dans les yeux, était trop poli pour être honnête. Quant à sa sœur, cette sorcière démantibulée, elle dégageait un je-ne-sais-quoi de vapeurs délétères. Elle se déshabilla pour éliminer sous la douche ces relents de transpiration qui vous collent à la peau après une journée de voyage.
Léon le Bio entendit le réducteur de pression claquer et la tuyauterie glouglouter. Il grimpa à l’étage quatre à quatre, entra dans la soupente attenante à la chambre, souleva le cache de l’œilleton qui lui permettait de zieuter direct dans le bloc-douche. Oh là là, nimbée de buée, quelle divine anatomie ! À réveiller la libido d’un castrat. Le triangle était si blond qu’on aurait dit qu’elle se rasait le minou. Exactement comme Monika. Quand la belle se savonna les pétales, Léon le Bio faillit lâcher la purée dans son calcif. Il referma l’oculus du peep-show et redescendit.
Marie-Céleste revenait d’avoir trait les vaches. Elle mit le rôti de veau dans le four et alluma le feu sous la sauteuse pour frire des patates nouvelles. En hors-d’œuvre elle avait prévu des roulés de jambon industriel farcis de macédoine de légumes made in Kenya et de mayonnaise de synthèse. En dessert, de la compote de pommes qu’elle mettait en bocaux pendant l’hiver. C’était bon pour le transit, et indubitablement bio. Léon n’allait pas s’emmerder à traiter des pommiers qui donnaient dix fois trop.
– La reluquer sous la douche tu es monté ?
– Que du bonheur !
– Ressembler drôlement à la Monika elle fait.
– De partout.
– Du louche il y a là-dessous. De ça il va falloir qu’on cause.
– Oh que oui ! "
Le point de vue du traducteur :
" - Un exercice de style
Gunnar Persson m’a confié avoir eu en tête, tout au long de l’écriture de ce livre, non seulement les Exercices de style de Raymond Queneau, ouvrage dans lequel il raconte 99 fois la même scène dans 99 styles différents, mais encore son polar iconoclaste, On est trop bon avec les femmes, signé Sally Mara et publié aux Editions du Scorpion en 1947. La mystification littéraire ne durera qu’un temps. Les Mémoires de Sally Mara, une trilogie, figure aujourd’hui au catalogue de la prestigieuse collection L’Imaginaire de Gallimard.
Notons que Proust lui-même a pratiqué le pastiche. Les plus connus sont L’Affaire Lemoine, où il raconte une même histoire en parodiant des célébrités de son temps.
Dans le domaine du polar, les inspirateurs français de Gunnar Persson ont été Boris Vian, alias Vernon Sullivan (J’irai cracher sur vos tombes, Et on tuera tous les affreux), ainsi que Frédéric Dard/San Antonio, bien entendu.
Parmi les auteurs américains à avoir écrit des polars plus ou moins délirants, Gunnar Persson m’a cité Charles Williams (Fantasia chez les ploucs), James Hadley Chase, Donald Westlake et d’autres grands écrivains souvent dissimulés sous des pseudonymes afin de se permettre des fantaisies de style destinées, peut-on supposer, à se distraire de la production habituelle réclamée à cor et à cris par leurs lecteurs (et leurs éditeurs).
Une sotie rurale
Sotie : Farce de caractère satirique jouée au Moyen Âge, par des acteurs en costume de bouffon, représentant différents personnages d’un imaginaire « peuple sot », allégorie de la société du temps. (Le Robert)
De nombreux clins d’œil sont ici adressés : à la vogue du polar scandinave, au roman gothique, au genre gore, au roman érotique. Comme le veut la satire, c’est dans une langue inventive et caustique qu’on fait rire aux dépens des figurants qui animent le décor.
Un vrai suspense
Dès le premier chapitre, on apprend que la disparue est en danger. Forcément, sa grande sœur lancée à sa recherche le sera aussi. Sortiront-elles saines et sauves de la gueule du loup ? Construit comme un roman à suspense, Ösdur est un véritable page turner dans lequel le premier degré est au service du second. Ou l’inverse… "
Critiques :
" A l’auberge rouge sang, il ne vaut mieux pas s’arrêter. Léon le Bio et Marie-Céleste sa soeur y pratiquent le woofing. Vous participez à la ferme en échange du couvert et du lit. Le problème, c’est qu’au Trou-joyeux, on finit souvent découverte et on fait son lit six pieds sous terre…
On le savait doué. Hervé Jaouen ajoute à son arc une corde de plus : traducteur du suédois. Cela vous étonnera peut-être mais pas ici à brobloblack puisqu’y a été publié le 1er chapitre de ce roman noir de Gunnar Persson, Ösdur. On a vite les pieds dans la bouse à Trou-joyeux où Monika réussit à s’échapper de l’emprise malfaisante de Léon le Bio malgré son collier GPS pour poster un SOS à sa sœur. Le cœur brisé, Ingrid ne peut que venir voir ce qui se passe à Toullaouen sauver ce qui reste à sauver mais quand on plonge pour éviter la noyade, on la risque aussi. Succulent, truculent, drôle, ce roman est d’une lecture roborative et d’un style ingénieux tout en images : elle « veillait, entre un ragoût de choux et un gratin de macaronis, à ce qu’il ne manque pas de PQ dans les goguenots, par un écolo baptisés toilettes sèches, alors que les planches du pourtour du trou étaient régulièrement humidifiées par des pisseurs qui se méprenaient sur la longueur de leur asperge ». Ça donne envie. "
François Braud - Broblogblack - Juillet 2023
" Dans un bled perdu de la Bretagne profonde, Léon le Bio, néo-paysan opportuniste, exploite la mode du woofing (découvrir l'agriculture biologique tout en passant environ la moitié de chaque journée à aider à la ferme) pour séduire et abuser de jolies blondes scandinaves qu'il livre, une fois usées, à la bestialité d'Ösdur (!) un puissant taureau Highlander. Sauf que la dernière, Monika, avait une soeur qui n'hésite pas à faire le voyage Stockholm – Toullaouen pour demander des comptes au salopard et à sa tarée de soeur. Dès lors, la belle organisation part en déliquescence et Léon le Bio s'enfermera tout seul dans une impasse de violence suicidaire.
Dans la droite ligne d'un Pierre Siniac (dont les aventures de Luj inferman et la Cloducque ont scotché les lecteurs de la Série Noire des années soixante-dix), Gunnar Persson nous livre une farce hénaurme et très noire qui cumule personnages excentriques, intrigue improbable, contexte saisissant (la présentation du mouvement des Gilets Jaunes vaut le détour) et narration ad hoc !
Au moment de terminer cette chronique, je me pose la question de l'auteur de cette comédie noire et bretonne. Et si c'était Hervé Jaouen lui-même qui, à l'instar de de Boris Vian /Sullivan ou de Jean-Bernard Pouy / Arthur Keelt, avait écrit (et pas seulement traduit) ce roman signé Persson (personne ?). A suivre… "
Jean-Paul Guéry - Babelio.com - Mai 2023
" Laissez venir à moi les petites suédoises.
Auteur suédois que je découvre avec ce premier roman traduit de l’anglais par Hervé Jaouen.
Prenez deux sœurs suédoises absolument opposées : Ingrid plutôt rangée, mais qui se permet malgré tout quelques parties de jambes en l’air avec son éternel fiancé Sven, et qui réside sur un bateau à Stockholm. Monika, elle, vadrouille à sa convenance et multiplie les aventures, et les soucis avec la justice.
Alors quand elle disparaît pendant quelque temps, cela n’affole pas plus que cela Ingrid.
Mais lorsque qu’elle reçoit une lettre avec le message suivant :
VIENS VITE ILS VONT ME TUER ! MONIKA.
C’est la panique à bord !
Elle décide de voler à son secours. Après moultes recherches, elle atterrit dans un petit village du Centre Bretagne, chez un couple plutôt patibulaire, Léon le Bio et sa sœur Marie-Céleste.
Mais elle arrive hélas trop tard. Monika est déjà morte et enterrée dans une partie du château appartenant aux ancêtres du propriétaire de la demeure, qui sont remplacés par de jeunes dames victimes du serial killer rural et biologique.
Au club de lecture du bourg, trois femmes s’apprêtent à regarder un film.
Le Sancerre saoule que lorsque l’on s’en sert, la troisième bouteille bue, en regardant le film « L’amant de Lady Chatterley », émoustille les trois membres d’un club de lecture du village. Elle décide alors de tirer au sort pour savoir laquelle ira tester l’étalon du village, le dénommé Léon le Bio, grand amateur de beauté scandinave. Le sort désigne Maryvonne, la femme du maire qui se dévoue bien volontiers. Haut les cœurs et à bas la culotte.
Mais hélas pour Ingrid, son identité est découverte par Léon qui la « matait » avec intérêt lorsqu’elle prend une douche, mais il trouve qu’elle ressemble beaucoup à sa dernière victime.
Alors, malgré tout, il décide de la supprimer avant de la consommer…
Parmi les personnages de ce roman noir, le plus surprenant est Ösdur, un taureau de race highlander (un de ses confrère ou lui-même figure sur la couverture). C’est l’exécuteur des basses œuvres.
Parmi les humains, Ingrid prête à tout pour retrouver sa sœur même au péril de sa vie. Les méchants sont très méchants, Léon, assassin obsédé sexuel, et sa sœur qui pourtant porte le doux nom de Marie-Céleste et semble être la fille illégitime de la fée Carabosse et de Quasimodo !
C’est noir, très noir, humour très très noir, mais c’est jubilatoire.
Il est à noter que tous les dialogues de Marie-Céleste emploient la syntaxe grammaticale du breton.
Une découverte. "
Blog Eireann - Mai 2023
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