Résumé :
C'est en Bretagne, dans un restaurant de Pont l'Abbé, que Anne Pollier et Hervé Jaouen se rencontrent pour la première fois. Elle a publié cinq romans et un livre témoignage Femmes de Groix ou la laisse de mer. Jeune romancier déjà primé, son Journal d'Irlande est paru deux années auparavant, il souhaite pouvoir se consacrer uniquement à l'écriture. Elle a 76 ans, il en a 40. Une espèce de "solitude littéraire" les rapproche.
De 1986 à 1993, leur correspondance illustre le mystère des liens épistolaires desquels peut naître une véritable amitié. L'intimité se crée et amène des confidences. C'est à la fois un témoignage sur cette époque et les tribulations d'une vie. C'est aussi un document sur les difficultés de la création, les affres du vieillissement, l'acharnement à vouloir écrire, créer, jusqu'à l'ultime instant. Avec une acuité du regard et une belle liberté de ton, leur échange se lit comme un passionnant récit.
Extrait :
" Extrait de la lettre d'Anne Pollier à Hervé Jaouen, écrite à Paris le 4 juin 1991.
... Oh, cher Hervé, moi aussi j'ai eu le coup de foudre de Ouessant que, finalement, je n'ai jamais pu voir. Cette forme en pince de crabe, d'abord, qui ménage sûrement d'autres horizons. Et le fait qu'à Lorient, copiant Brest, on y appelait ses femmes "les filles de la pluie". C'était à cette époque bien lointaine où le port du costume marquait votre origine, et les femmes s'en glorifiaient. J'ai conté ça dans "Femmes de Groix". Comment n'être pas ému, à l'époque des "tabliers" ornés comme des retables, par ces femmes dont la coiffe elle-même était noire, portée sur les beaux cheveux répandus ? Les filles de la pluie... Si tôt dans ma vie j'ai été sensible au romantisme des mots ! Et il y avait tout ce qu'on disait d'elles : le proëlla et les cérémonies plus ou moins secrètes qui l'entourent. Ce brouillard d'Ouessant qui tombe sur vous comme un voile.
Bien plus tard, à Lausanne, Marcel Arland m'en parlait, un soir. Sa femme et lui, frais mariés, s'y trouvaient, se promenant à la tombée de la nuit quand ce voile presque solide est venu les empêtrer - les empêchant de retrouver leur route. Ce qu'ils savaient seulement, c'est qu'ils se trouvaient au bord d'une falaise battue par la mer dont la présence - bruit, odeur puissante -, n'avait fait que s'accroître. Pour le reste, le vide, sans point de repère. Ils avaient connu l'angoisse - et précautionneusement erré pendant des heures avant de retrouver la vie tangible. Mais que dire du sentiment de panique rétrospective quand, ayant demandé le nom de ce lieu, ils s'étaient entendu répondre : "C'est la baie d'Arlan" ! Oui, il y a un mystère dans cette île. Et un autre, moins frappant peut-être, dans ce Groix où, mon mari et moi, une nuit, nous avons multiplié les erreurs et presque les paniques, sur un chemin familier, non pas à cause de l'obscurité mais tout au contraire du trop de lumière, où les phares de l'île se perdaient tant ils paraissaient se multiplier, mer, terre et ciel se joignant dans un champ d'étoiles non pas immobiles mais toutes scintillantes. Le lendemain, nous nous faisions la réflexion que quelque chose s'était interposé, je ne sais quoi de [illisible] nous laissant l'impression d'avoir vu à travers l'espace, des phares inconnus, tout un monde de repères lumineux sur la côte à naufrages, des bateaux immobiles dans une gloire de clarté et d'autres villes, là-bas, Dieu sait où. Image que j'ai retrouvée d'ailleurs - une seule fois et seule. Quelque chose comme si on vous ouvrait l'infini. Un peu "ça", mais pas tout à fait ça, juste pour vous rappeler une sensation étrange et bizarrement trompeuse. Notre impression d'avoir, de ce côté, celui du large, "aperçu l'Amérique", (puisque c'est la seule terre que Groix, tournant le dos à la côte lorientaise, regarde). "
Critiques :
" - Le point de vue des éditeurs
Au printemps 1986, lors du congrès de l'"Association des Écrivains Bretons", Hervé Jaouen et Anne Pollier se croisent, discutent, plaisantent : "Nous nous étions compris. L'amitié a aussi ses coups de foudre" confie Hervé Jaouen dans la préface. Elle a soixante-seize ans, il en a quarante.
Elle est l'auteure de nombreuses nouvelles et de cinq romans, "La Nuit du Havre", "L'Estuaire", "La petite chanson" aux éditions Gallimard, et "Grand Quai" pour lequel elle a obtenu le Prix de la Guilde, tous publiés de 1952 à 1955. Puis presque trente ans de silence et paraissent, à nouveau aux éditions Gallimard, en 1983, un témoignage "Femmes de Groix ou La laisse de mer", et en 1986 un roman, "Reflets dans un canal".
Lui travaille à mi-temps dans une banque mais vit un fort investissement dans l'écriture. Auteur de romans policiers, "La Mariée rouge", "La Chasse au merle", "La petite fille et le pêcheur", "Quai de la Fosse" pour lequel il obtient le Prix du Suspense en 1982, et "Le Crime du syndicat". En 1984, avec son "Journal d'Irlande", il s'ouvre un nouvel espace d'écriture et touche un autre lectorat.
Une certaine "solitude littéraire" les rapproche. Une correspondance se met en place où grandissent confiance et intimité au long de sept années : ils ne se reverront qu'une seule fois. Chacun est à la fois témoin attentif et interlocuteur précieux des rêves de l'autre, lui dans le déploiement de son écriture, elle aux prises avec le "grouillement de la mémoire", et pour tous deux cette obsession du "vivre/écrire" : "Mais parlons de la création, la chose qui nous préoccupe" rappelle tout de go Hervé Jaouen, tandis qu'Anne Pollier s'exclame : "Quelle joie me donnent vos lettres, elles sont un excitant pour l'esprit, et chez moi réveillent en pagaille des souvenirs."
D'un envoi à sa réponse courent une estime et un encouragement constant à la création de l'autre. Hervé Jaouen propage le feu d'une action persévérante, toujours dans l'écriture d'un roman, ou d'un synopsis, dans une traduction anglaise, dans les corrections d'avant publication ou les négociations pour l'audiovisuel. Elle suit de près cette construction d'un territoire d'écriture, s'y alimente, y puise des forces. "... un temps fou depuis nos derniers échanges. Et cela me manque. Seriez-vous une drogue ?"
Et des coulisses éditoriales aux légendes bretonnes de revenants, de l'odeur de l'eau et des rivières à truite, à la pêche au saumon, des romans familiaux à "Apostrophes" et Bernard Pivot, d'un voyage en Espagne, en Grèce ou en Turquie à la "fièvre" irlandaise, des opportunités de publication aux déconvenues associatives, de la foi en Dieu au combat pour trouver le temps ou l'énergie d'écrire, les thèmes se succèdent, s'enroulent, se traversent avec le brio et le naturel de deux épistoliers qui ne s'embarrassent ni de préséances ni de faux-semblants et semblent avoir spontanément trouvé le "la" : un ton à la fois respectueux, direct, enlevé, aux inflexions mobiles selon les mouvements d'humeur, les joies et les tristesses.
De la confidence de l'un - "Pendant que ce manuscrit "reposait" (comme on laisse reposer une pâte), j'ai découvert un monde merveilleux : celui de la littérature pour enfants. J'ai publié un roman policier pour 6/8 ans (...). C'est très reposant, et surtout très rafraîchissant car, vous le savez, mes romans ne sont pas particulièrement gais et je n'en sors pas toujours intact" - à celle de l'autre - "Écrire des lettres me réhabitue à l'écriture" -, le lecteur est témoin, de l'intérieur, des interrogations, du travail littéraire. Hervé Jaouen ici livre qu'il "tape souvent, en commençant un roman, la même page à la première et à la troisième personne, et regard comme ça "sonne", évalue les avantages et les inconvénients du choix de l'une ou de l'autre, là compare l'étude de la littérature à de la dissection ; à un chirurgien qui couperait la femme qu'il aime en morceaux pour voir ce qu'elle a dans le ventre !"
Ils s'envoient leurs ouvrages, les commentent, les discutent, les mettent en perspective. Lui, son cadet de quelque trente-six années, est dans l'urgence et "l'obsession du temps". Elle se révèle une merveilleuse épistolière, vive et enjouée. Elle en convient : elle est "gaie et place facilement le mot pour rire". Hervé Jaouen la perçoit la première fois comme une "petite dame pétillante", et Séverine Auffret-Ferzli, sa fille, retrouve cette sensation pour évoquer dans les yeux de sa mère "ce pétillement qu'(elle) aimait".
Cette légèreté, cet allant délivrent leur lumière par contraste avec une sincérité grave ("Mais je ne voudrais pas que vous vous fassiez des illusions sur moi. Je n'ai pas du tout un moral d'acier. J'ai peur de la douleur et ses attaques me désarçonnent..."), une vigueur et une finesse de la pensée ("Je ne peux même pas dire : je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je suis l'ombre de quelqu'un d'autre : une femme plus âgée que moi et encore plus exténuée qui s'est introduite dans ma peau..."). Le corps défaille mais l'esprit ne s'y aliène pas, il continue ses jeux et ses exercices de conscience, parfois douloureux : "La mort n'a rien d'une baguette magique ouvrant des mondes auprès des mondes : elle est démantèlement de soi face à soi-même."
Et puis il y a cette verticalité, cette liberté de ton, désinvolte, impertinent : "Je suis néanmoins heureuse à Groix, bien que mon état aille en empirant : mais qui pourra me croire ? J'ai déjà demandé à mon amie Cécily de Chabannes de ne plus m'écrire tant me déprime sa façon de me voir déprimée. Quelle chose horrible, la charité chrétienne, surtout appliquée comme la pâte à tarte, à grands coups de spatule."
Cette même (fausse) légèreté fait encore mouche lorsque évoquant des "amours éditoriales" quelque peu contraintes, elle s'exclame : "L'offense est-elle bisexuelle et le pauvre... a-t-il passé par là ? Ce n'est jamais pour moi, un jugement moral, mais terriblement esthétique !"
Il s'en dégage une posture, à tout le moins un style, où le sentiment esthétique raille avec un sourire la morale convenue, l'ironie effleure la gravité, l'humour cisèle la souffrance.
Brille aussi l'éclat de sa curiosité de la vie et des êtres. Elle voyage, contemple, s'émerveille. Elle écrit. On en oublie que c'est parfois d'un hôpital ou d'une maison de convalescence. Quand à son âge... Au détour d'un paragraphe, l'acuité du regard perce l'image - "Jamais Groix ne m'avait paru si pure, d'un bleu poudré de brume comme un Turner" -, ou transmet une relation empathique au paysage - "Toulon sent le bois de pins, et la petite route entre l'aéroport et la ville, avec ses genêts énormes, ses bouquets bleus ou rose vif, ses flaques de coquelicots, c'est merveille !"
Ce type de notation était présent dès 1940 dans son "Journal" comme le remarque Nancy Huston dans la préface : "C'est que, comme elle le dit si bien, on peut toujours" à défaut d'autre chose retenir un lieu encore dans sa pureté et le temps qui lui servait de parure" : c'est déjà énorme et précieux."
Hervé Jaouen, attentif à ses courriers - "vos lettres sont passionnantes" lui redit-il, enthousiasmé par la lecture de ses romans, lui demande la permission de rechercher un producteur pour "Grand Quai" et promet l'écriture d'un synopsis. Il insiste : "C'est vraiment dommage - je me répète - que vous ayez (presque) arrêté d'écrire." Et il la questionne, la soutient et l'encourage à s'exprimer sur ce support épistolaire où elle est si à l'aise, si "elle-même". Et elle va y répondre sans doute parce qu'elle "ne lutte que pour pouvoir crier, non certes de douleur, mais le cri de triomphe qu'est toute écriture", mais aussi parce que la sympathie a fait place à une véritable affection : "Voilà une lettre (la vôtre) qui m'a fait un énorme plaisir. J'ai l'impression que ce qui est agréable pour vous est "bon pour moi", un peu comme si vous étiez mon quatrième fils."
Se dessine le cheminement d'une vie où tout s'est inscrit rapidement : L'écriture de nouvelles, très jeune, pour des magazines féminins, la présentation inattendue à "Gaston" et en 1946 l'entrée si facile - "comme couteau dans le beurre" aux éditions Gallimard, l'amour, le mariage avec Robert Pollier, journaliste boursier, la guerre, la naissance de quatre enfants, les livres, les rencontres. Au gré de la mémoire passent les silhouettes de Jacques Chardonne, Marcel Arland, Dominique Aury, Jacques Prévert, Robert Anselme et bien d'autres.
"L'ombre est venue avec le premier infarctus de mon mari... Et puis mon mari est mort et moi j'ai sombré dans la dépression."
Disparaissant de la scène éditoriale parisienne, n'étant pas "reçue par les Bretons de Paris à bras ouverts" elle qui, originaire de l'île de Groix par sa mère et du Morbihan par son père, se ressent "intensément bretonne", elle fait retour sur cette longue période douloureuse, "(son) long enfermement, l'étouffement où (elle se) perdait..." Et comme elle le confie "Rien n'est pire que le silence. Je le sais moi qui l'ai gardé si longtemps."
Ni la dévastation de la vieillesse, ni la solitude, ni la maladie ne l'empêchent doucement de se moquer, ni ne font écran à la fraîcheur des sensations.
"N'est-ce pas une grande chance que de pouvoir dire "j'ai vécu" ?"
L'amertume, les regrets, les ressassements n'y trouvent pas de place : peut-être à cause de l'un de ses dons, pas le moins précieux, qu'au détour d'une phrase elle avoue "je sais jouir de ce qui m'est donné...", peut-être aussi par cette singulière capacité de retournement, mélange détonnant d'humour, de dérision, de jeunesse inexorable : "À force de déceptions, le fou rire m'a gagné, très pénible en ces circonstances : essayez donc de rire en claquant des dents !"
"À force de déceptions, le fou rire m'a gagné..." Lorsque le lecteur tourne la dernière page, il est étonné de lire à la date du 30 janvier 1994 les mots du faire-part de décès qu'il fait sien "votre amie Anne Pollier nous a quittés...", oui une amie qu'on a eu bonheur à entendre et dont on a oublié qu'elle pouvait disparaître, tant elle laisse, jusqu'au possible, dernier mot à la vie. "J'aime que l'on relève les ruines, que l'herbe et la fleur se répandent."
Cette amitié épistolaire vive, rebondissante, pudique, instructive, dessinant de façon contrastée les portraits d'Anne Pollier, d'Hervé Jaouen et de leurs univers, se lit comme un passionnant roman.
Dans le même temps paraissent également aux éditions Diabase une réédition de "Grand Quai" d'Anne Pollier et un roman inédit d'Hervé Jaouen "Fleur d'Achélème" dont les lectures croisées permettent de fructueuses résonnances. "
Cypris Kophidès
" - En 1986, les écrivains Hervé Jaouen et Anne Pollier se croisent, discutent et plaisantent. Trente-six ans les séparent mais l'amitié est immédiate. Une correspondance se met en place. Pendant sept ans, les deux auteurs s'encouragent mutuellement et partagent leur passion pour l'écriture. Ces échanges épistolaires publiés aujourd'hui permettent au lecteur de vivre de l'intérieur les interrogations du travail littéraire. Dans le même temps paraissent également une réédition de "Grand Quai" d'Anne Pollier et un roman inédit d'Hervé Jaouen, "Fleur d'Achélème", chez le même éditeur. "
Bretons - Mars 2007
" - Un passionnant échange de correspondances. "
Ronan Gorgiard - Ouest-France
" - Près de dix ans d'échanges épistolaires entre Anne Pollier et Hervé Jaouen. Ces échanges sont à la fois un témoignage sur une époque, mais aussi sur la vie et le métier de deux écrivains de générations différentes : l'une à soixante seize ans, l'autre en a quarante. "
lyza.chez-alice.fr/pollier/lettres.html
" - ... On échange des opinions sur les livres des autres, ou sur les siens, on parle du temps qu'il fait et de celui qui passe, des maux dont on souffre et des petites misères qu'inflige le monde de l'édition. C'est poli, franc et charmant. Plein de vie et de légères colères.
C'est surtout une plongée dans l'arrière-boutique de l'écrivain, dans ce laboratoire de l'écriture où se mêlent inspiration et travail... "
Georges Guitton - Ouest-France - 22/03/2007
" - Une amitié vécue comme un coup de foudre éclôt et se maintient par le biais de la correspondance entre deux écrivains, Anne Pollier et Hervé Jaouen, du printemps 1986 à l'été 1993. Anne Pollier pourrait être la mère d'Hervé Jaouen, et c'est d'ailleurs dans cette filiation que l'auteure se positionne très tôt dans la correspondance lorsqu'elle lui écrit qu'il pourrait être son quatrième fils. "Voilà une lettre (la vôtre) qui m'a fait un énorme plaisir. J'ai l'impression que ce qui est agréable pour vous est bon pour moi", "un peu comme si vous étiez mon quatrième fils." Telle une bonne mère, elle écoute attentivement, encourage, vit par procuration à travers le travail créateur d'Hervé Jaouen. Cette riche correspondance qui court sur sept années, rassemblant les lettres les plus courtoises aux lettres les plus engagées, vaut "une autobiographie". Elle donne à vivre les dernières années d'Anne Pollier conservant son humour et sa verve, malgré toutes les maladies qu'elle supporte tant bien que mal dans la remémoration d'un passé aussi joyeux que douloureux.
Les deux écrivains partagent leurs angoisses, leurs attentes dans la plus grande liberté d'expression. Les lettres d'une simplicité déployée s'écrivent dans l'antichambre de la création littéraire lorsque celle-ci s'est retrouvée quelque peu émoussée par certaines obligations de faire face au quotidien, en particulier pour l'auteure qui a perdu tôt son mari. Si Anne Pollier a tenté de publier en 1986, sa création est passée inaperçue : "II faut un peu de chance pour durer, Anne Pollier en a manqué. Et puis elle péchait par modestie dans ce milieu où paie plutôt la vanité", écrit Hervé Jaouen dans sa préface à la correspondance. Les lettres d'Anne Pollier respirent cette même modestie, et c'est d'ailleurs ce qui plaira en définitive au lecteur.
Dans le mouvement de la correspondance
Cet échange de missives a été une véritable dynamique pour l'un comme pour l'autre. Il a permis de tenir bon pour Anne Pollier qui doit se battre contre des états de dépressions cycloniques qu'elle traverse depuis la disparition d'un époux qu'elle adorait tellement l'entente était fusionnelle. Il a favorisé la création d'Hervé Jaouen racontant révolution de son écriture en nombre comme en genre. C'est aussi sous l'œil attentif et encourageant d'Anne Pollier qu'il écrit. Les livres qu'il lui envoie la "revigore". Elle attend parfois avec impatience des lettres qui tardent à venir de la part du correspondant toujours trop occupé par ses tâches littéraires. La correspondance comble "une solitude littéraire", une solitude radicale : "Temps de bonheur disparu non seulement parce que quelqu'un manque, mais parce que lui-même s'est définitivement effacé", écrit Anne Pollier dans l'évocation de souvenirs partagés avec son mari.
Au fil de la correspondance surgissent en effet des souvenirs, en particulier ceux concernant les voyages alors en sommeil, et réveillés par ceux, nombreux, qu'Hervé Jaouen effectue dans le présent de rechange épistolaire qu'il évoque à sa correspondante. Des histoires pittoresques, l'historique politique et culturel de pays visités, se racontent lorsque les lèvres se délient. Chacun s'inquiète aussi de ce que l'autre pense de ses livres. Pour Hervé Jaouen, tout est bon comme sujet d'écriture et il trouve que de nombreux faits pourraient être, pour Anne Pollier, prétexte à écrire. D'ailleurs, lui-même écrit sans cesse dès qu'il est libéré de son travail à mi-temps dans une banque. Elle écoute attentivement son correspondant, écrit parfois quelques courtes nouvelles, car ce genre demande un investissement réduit pour quelqu'un qui souffre de nombreuses maladies et séjourne trop souvent à l'hôpital. Ainsi, les lettres réveillent l'esprit déjà vif d'Anne Pollier. Ses lettres font dire à son correspondant "que [elle était] faite pour le journal de voyage". L'auteure se met à écrire de belles descriptions, a le sens de l'anecdote qui pourrait devenir le terreau même de nouveaux livres.
Les aléas que tout écrivain connaît lorsqu'il tente de publier sont parfois source d'attaques contre les éditeurs universitaires à cause d'un manuscrit "accepté, payé, refusé" : "Parfois il est bon de vider son fiel. On se sent mieux après." On lira d'autres propos perspicaces sur Pivot, sa nombriliste réussite et "sa joie enfantine de recevoir tant de beau monde... lui-même enchanté de se voir choisi par la grande vedette."
Quelques mois avant de mourir, Anne Pollier vit par procuration, corps et tête presque anéantis par la maladie. Elle ne se plaint pas de son trop bref succès littéraire. Elle est heureuse de sa vie. Son seul regret, et il est de taille, est celui de la perte prématurée de son mari avec qui elle vivait dans la complicité. Elle est davantage intéressée par la vie des autres que par la sienne propre. "Je n'ai pas fait un seul effort en faveur de ma réussite" dit-elle. Et à propos de ses enfants et petits-enfants : "ils sont la musique de ma vie". "
Nelly Carnet - Mensuel littéraire et poétique - Mai 2007
" - Chronique d'une amitié littéraire
"Je me souviens simplement avoir bien rigolé en sa compagnie, aux dépens des poètes saturniens et de bas-bleus péremptoires. Nous nous étions compris. L'amitié a aussi ses coups de foudre." Ainsi Hervé Jaouen raconte-t-il sa première rencontre avec Anne Pollier, en 1986 à Pont-l'Abbé, lors d'un congrès d'écrivains. Ils ne se reverront qu'une fois, le temps d'un dîner, mais vont correspondre durant sept ans. La parution de cette abondante correspondance aux Éditions Diabase doit sa valeur à la relation confiante qui, au-delà de - ou grâce à - l'écart d'âge, unit les deux écrivains. Ils ne s'écrivent pas dans la perspective d'une publication, mais Hervé Jaouen perçoit rapidement la valeur littéraire des lettres d'Anne Pollier, où elle met à son insu tout le talent qu'elle ne parvient plus à mettre au service du roman. "Anne Pollier s'apparente pour moi à ces auteurs américains et irlandais dont la prose est un mystère : comment une telle émotion peut-elle naître de tant de simplicité ?" Et ces sept ans de correspondance, jusqu'à 1993, racontent une belle histoire d'amitié entre la "petite dame pétillante" qui a connu un succès très rapide dès l'après-guerre (son roman "Femmes de Groix" fut l'un des six ouvrages qu'elle a publiés chez Gallimard), mais qui, gagnée par les maux du grand âge, n'a plus "d'image à vendre", et un écrivain en pleine maturité (de trente-six années son cadet), vivant dans "l'obsession du temps" (c'est entre autres la période du "Journal d'Irlande", d'"Hôpital souterrain", de "Flora des embruns" et d'"Histoire d'ombres"). Malade du cœur, elle voit en lui son "quatrième fils", et leurs deux univers s'entrecroisent : l'Irlande, la chasse "contemplative" à la bécasse, la pêche à la truite, pour l'un ; et pour l'autre, le souvenir des jours heureux avec son mari, les vacances en tandem, mais aussi la douleur physique, la solitude, la dépression après la mort du conjoint. Elle ne peut plus écrire, lui ne peut plus ne pas écrire : cela suffit à les lier, à quoi s'ajoutent un esprit et une vivacité communs. Le charme de cette correspondance tient à ce qu'elle conjugue la rudesse de l'humaine condition et la douceur d'un pur chant d'amitié, jusqu'au seuil de la mort, entre deux personnes qui ne se voient jamais. Tous les thèmes abordés sont liés par cette musique unique, celle du lien chaleureux de deux écrivains qui se disent leur admiration, avec l'exaltation d'épistoliers romantiques. "
Daniel Morvan - ArMen - Juillet 2007
" - "Sous l'égide de la Poste"*
Sur cette chronique, j'aborde pour la première fois le thème de la correspondance. J'ai lu il y a quelques années celle d'Oscar Wilde chez "Gallimard" et j'ai en projet de lecture la correspondance de John Butler Yeats à son fils William Butler Yeats, présentée et choisie par un certain John McGahern.
Anne Pollier, dont la famille est originaire de Groix, est la mère de l'écrivain Séverine Auffret.
Un jour à Pont l'Abbé une rencontre : elle, Anne Pollier a 76 ans et est romancière, lui en a 40 ; un de ses livres "Journal d'Irlande" a été primé. Son rêve vivre de sa plume. Il s'en suivra une correspondance de sept ans (1986/1993) résumée dans ce livre.
La littérature est le ciment de ces lettres, avec comme question de la part d'Hervé Jaouen comment en vivre ? Pourquoi quitter un emploi sûr dans une banque pour l'aventure littéraire ?
Les préoccupations d'Anne Pollier sont de tout autre ordre ; elle est un écrivain reconnu mais qui n'a pas publié depuis des années. Son dernier ouvrage "Reflets dans un canal" est édité en 1986, mais le monde de l'édition lui aussi a changé. Anne Pollier déclare avoir détruit des nouvelles qu'un éditeur avait refusées, ce qui scandalise Hervé Jaouen.
Les livres en cours d'écriture sont aussi au cœur des préoccupations d'Hervé Jaouen ainsi que les émissions littéraires où il est invité.
Les petits potins sur les maisons d'édition, la gentillesse des uns, l'affairisme des autres. Les projets cinématographiques d'Hervé Jaouen sont également des sujets d'échanges d'idées.
Les voyages qui rendent la vie plus agréable ou pour la rendre seulement vivable, les aventures du dernier fils d'Anne, sorte de Kerouac des temps modernes.
Hervé Jaouen rend hommage au plus grand écrivain irlandais de la deuxième moitié du vingtième siècle, John Mc Gahern (du moins à mon goût) en disant :
- J'ai lu quelque bons livres, ces temps-ci. Notamment deux John McGahern, un Irlandais. Deux romans épouvantablement noirs... mais superbes.
Ou encore :
- Je vous conseille son dernier recueil de nouvelles (Haute-terre, Presse de la Renaissance).
Un hommage aussi, à l'ami, discrètement en passant :
- C'est un Breton travaillant à Paris, dans la même banque que moi. Il s'appelle Jean-Yves Boivin.
Une correspondance entre deux grands écrivains ne peut être que bien écrite, mais ici on sent une estime réciproque qui au fil du temps devient de la complicité.
Partant du domaine général, des réunions de "l'Association des écrivains bretons", les deux auteurs, ensuite, évoquent leurs familles, leurs projets. Ils parlent des joies et des peines qui parsèment la vie de tout un chacun. Nous suivons la progression de la carrière d'Hervé Jaouen, mais en parallèle Anne Pollier nous parle avec beaucoup de retenue et également un humour combatif de la dégradation de sa santé.
Une anecdote à peine croyable, cet homme qui se suicide et demande à être enterré avec entre les mains, à la place du traditionnel chapelet, un exemplaire de "Journal d'Irlande" d'Hervé Jaouen !
J'avais une certaine appréhension en commençant ce livre, une espèce de pudeur d'entrer comme cela dans la vie des gens, mais cela a vite disparu.
J'ai trouvé dans ce genre littéraire un exercice difficile, surtout dans ce cas précis où il y aurait tant à lire et à dire.
Le très grand mérite de ce livre, c'est pour moi la découverte d'Anne Pollier.
Extraits :
- H.J : L'écriture et la vie sont deux choses qu'il ne faut pas mélanger.
- H.J : Et puis elle pêchait par modestie dans ce milieu où paie plutôt la vanité.
- A.P : Peine d'ailleurs supportable : Groix change, je change moi-même.
- A.P : Quel plaisir de vous avoir aperçu hier à "Apostrophe".
- H.J : Comme vous vous en doutez, "Apostrophe" est une terrible épreuve dont je me remets à peine.
- A.P : Je suis l'ombre de quelqu'un d'autre : une femme plus âgée que moi et encore plus exténuée qui s'est introduite dans ma peau.
- H.J : C'est la mode : les groupes industriels se payent des maisons d'éditions, comme au XIXème les grands bourgeois se payaient des danseuses.
- A.P : Il m'est pénible, évidement, de constater ma solitude littéraire et le peu de "réponse" à ce que j'écris.
- H.J : Aucun espoir pour le Goncourt. Cette année les jeux sont faits encore plus que d'habitude.
- A.P : Les nouvelles sont de petits graines que ma seule ambition serait encore de mettre en chapelets.
- H.J : Face à la femme, à ses mystères, le marin ne serait-il pas un homme en fuite ?
- A.P : Ne pouvant même pas traverser la rue et à nouveau seule, je ne sais quand ceci partira.
PS. J'espère qu'Hervé Jaouen et Jean-Yves Boivin me pardonneront de mettre Anne Pollier en haut de l'affiche, elle le mérite bien.
* Phrase extraite de la préface d'Hervé Jaouen. "
eireann561.canalblog.com/ - 16/07/2007
" - Un sacré cachet
Avouons-le, jusqu'au jour où nous avons ouvert ce livre, Anne Pollier était une inconnue. Son nom, son style, l'émotion, l'humour lucide qui courent dans les lettres échangées ici avec Hervé Jaouen ne nous quitteront plus. Entre les lignes de cette touchante relation épistolaire, se lit aussi la solitude de l'écrivain qui, quel que soit son talent, n'existe que parce qu'un jour un lecteur donne une vibration à ses mots. Voilà, c'est fait. Merci M. Jaouen. "
Jean-Luc Germain - Bretagne Magazine - Juillet-août 2007
" - ENTRE CONFIDENCES ET INTERROGATIONS SUR LA CRÉATION LITTÉRAIRE, UNE CORRESPONDANCE PASSIONNANTE COMME UN RÉCIT
C'est en Bretagne, dans un restaurant de Pont l'Abbé, que Anne Pollier et Hervé Jaouen se rencontrent pour la première fois. Elle a publié cinq romans et un livre témoignage "Femmes de Groix ou la laisse de la mer". Jeune romancier déjà primé, son "Journal d'Irlande" est paru deux années auparavant, il souhaite pouvoir se consacrer uniquement à l'écriture. Elle a 76 ans, il en a 40. Une espèce de "solitude littéraire" les rapproche. De 1986 à 1993, leur correspondance illustre le mystère des liens épistolaires desquels peut naître une véritable amitié. L'intimité se crée et amène des confidences. C'est à la fois un témoignage sur cette époque et les tribulations d'une vie. C'est aussi un document sur les difficultés de la création, les affres du vieillissement, l'acharnement à vouloir écrire, créer, jusqu'à l'ultime instant. Avec une belle acuité du regard et une grande liberté de ton, leur échange se lit comme un passionnant récit. Anne Pollier, (1910-1994) romancière de grand talent publiée chez Gallimard. Hervé Jaouen, auteur publié notamment chez Denoël et aux Presses de la Cité, connu pour ses romans policiers, ses romans populaires et ses ouvrages sur l'Irlande. "
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