Résumé :
Le village de Saint-Baptistain, sur la côte Atlantique, coule des jours paisibles sous la houlette de son maire socialiste, dit "Jean le Pieux". Jusqu'au jour où paraît une petite annonce dans le Bulletin des communes de France : "Groupe financier international cherche terrain bord de mer, 50 hectares mini, pour investissement loisir." Ces hectares, la commune les possède, il s'agit d'une réserve marécageuse qu'on appelle "Les Grèbes", du nom de l'oiseau qui les peuple.
Partisans et opposants au projet s'affrontent bientôt dans l'arrière-salle du bistrot local, mis en effervescence par l'arrivée de Nélias Amalamelou, brasseur de dollars aux yeux de braise et de sa fille Lou. Mais très vite, la prétendue bonne affaire sent l'argent sale que l'on veut blanchir.
Lauréat du Prix du Suspense en 1982, Grand Prix de Littérature policière en 1990, Hervé Jaouen signe avec ce roman une satire percutante.
Extrait :
" Je ne fais que poser les données du problème dans le cas qui nous intéresse. Laissez-moi vous expliquer. Le trafic de drogue, qu'est-ce que c'est ? Je vous épargnerai la récolte du pavot et le reste. Venons-en tout de suite à la commercialisation. Une activité de rues, de cafés, voire de salons huppés, hé, hé, et qui consiste à vendre des doses, contre quoi ? Contre de l'argent "liquide". Des ruisseaux de billets qui forment rivières, rivières qui se jettent dans les fleuves et les fleuves dans l'océan. Une masse de billets qu'il faut blanchir, car il n'est plus question d'aller les porter dans les banques par pleines valises. Naguère, des comparses s'en allaient dans les paradis fiscaux déposer la monnaie. La surveillance s'étant accrue, les transferts entre banques étant de mieux en mieux analysés, les trafiquants ont dû inventer des formules de plus en plus complexes. Transformer l'argent sale en argent propre est devenu la principale difficulté du système. Le coût final est considérable, ils y laissent des plumes, c'est le prix de la lessive. Ne suis-je pas ésotérique ? Non ? Je continue. Comment convertir la monnaie fiduciaire - les billets - en monnaie scripturale sans attirer l'attention de la police ? On ouvre des commerces où le client est supposé régler en liquide dans une forte proportion : stations de lavage de voitures, laveries automatiques, pizzerias minables, restaurants miteux. Un complice s'inscrit au registre du commerce et s'en va verser à la banque de confortables recettes journalières qui n'ont rien à voir, bien entendu, avec l'objet social de la boutique. Sur ce chiffre d'affaires fictif on paie de la T.V.A. et autres taxes. L'argent est officialisé, il est blanchi. Il ne reste plus qu'à le faire parvenir au grossiste. Fausses factures, fausses prestations, pyramides de sociétés, la piste se brouille, l'argent atteint une blancheur parfaite."
Critiques :
" - Serge Morvan est le jeune secrétaire de mairie d'une bourgade de la côte Atlantique, Saint-Baptistain. Apolitique, il s'entend bien avec le maire de gauche, Jean Sybelle. Serge relève une annonce dans le "Bulletin des Communes de France" : des investisseurs cherchent un terrain de 50 hectares en bord de mer. Le site des Grèbes conviendrait parfaitement. Plaidant l'essor économique de Saint-Baptistain, Serge incite le maire à contacter ces financiers.
L'arrivée de Nélias Amalamelou secoue le tranquille microcosme. D'origine invérifiable, ce gros consommateur de café lance sans attendre le projet d'un complexe de loisirs aux Grèbes. Il présente des garanties, promet l'Eldorado. Serge sympathise avec le tourbillonnant Nélias, qui impressionne l'honnête maire. Nélias achète la "Villa aux Anglais" délaissée, où il s'installe avec sa fille Lou. Serge est immédiatement attiré par cette séduisante amoureuse des livres.
Les Renseignements Généraux et la Chambre de Commerce sont intrigués par Nélias. Les conseillers municipaux de gauche sont sceptiques et divisés. L'opposition de droite est hostile à un projet qui devait leur convenir. Dans les réunions, publiques ou non, les débats sont animés. Le bistrot local de Théo devient stratégique. Journaliste alcoolique, Le Scribe publie des échos mordants. Siguoli, des RG, suggère à Serge que la fortune de Nélias viendrait du trafic d'armes.
Serge et Siguoli se contentent d'observer la situation. Nélias pense que "Ah, ça va, ça ira !" Pourtant, ses engagements et les discours langue de bois seront-ils convaincants pour tous ? Ne risque-t-on pas une crise municipale ? On parle déjà d'un nouveau projet local... Et les "Moulins de Yalikavak" ? Ce petit paradis côtier se trouve en Turquie. Mais n'en disons pas plus...
Ce portrait satirique de la société française est un pur bonheur. Mœurs politiques, rivalités et autres petits travers sont présentés sans concession, n'épargnant personne. Si caricature il y a, elle est toujours juste. Le pétulant Nélias devrait faire réfléchir les admirateurs des "décideurs charismatiques". On lui préfère l'adorable Lou, passionnée de livres. Serge, le sarcastique narrateur, cynique démiurge, est guidé par le "syndrome des petits bateaux". Pour lui, il ne s'agit pas de manœuvrer les gens. Sa méthode est plus subtile, plus excitante. L'humour d'Hervé Jaouen évite de sombrer dans la noirceur, tout en restant réaliste et crédible. Cette savoureuse réédition est un régal. "
Claude Le Nocher - rayonpolar.com
" - Tout le sel de cette histoire marécageuse n'est pas seulement dans le dévoilement, du bout de la plume, des dessous de la politique locale appliquée à singer les mœurs et la langue de bois du marigot national. Une peinture caustique d'un village de Schtroumpfs qui se rêve Babylone touristique...
Cette satire illustre le pessimisme politique de l'auteur qui, comme beaucoup de jeunes gens de sa génération, voulut être Malraux à Madrid avant d'être conseiller municipal d'opposition, puis opposant de la plume... "
Daniel Morvan - Sud-Ouest
" - Dans ce roman délicieusement amoral, Hervé Jaouen dissèque avec beaucoup de brio, de lucidité et d'humour le fonctionnement d'une petite ville de province. C'est acide et sans pitié, tout le monde y passe, le lecteur grince des dents, puis sourit, avant de s'indigner. D'autre part, Jaouen crée des personnages inoubliables, au premier rang desquels Nelias, sorte de bulldozer tonitruant et infatigable dont le charisme et l'énergie crèvent, non pas l'écran, mais les pages. "
noircommepolar.com
" - Je viens de terminer le bouquin et mes impressions à chaud sont plutôt bonnes. En effet, il n'y a pas vraiment d'intrigues policières mais on apprend beaucoup de chose sur les coulisses de la politique communale.
La petite histoire : Serge, jeune diplômé arrive à Saint-Baptistain et devient l'adjoint du maire qui le prend sous son aile. Mais tout va basculer quand un étranger et sa fille "débarque" dans la commune.
Hervé Jaouen raconte avec précision et humour la vie communale, nous cultive avec des références littéraires et distille un humour pétillant. Bref un bon livre pour passer un bon moment accompagné d'un thé, d'un café ou d'une bouteille de raki. "
Laurent - Pol'Art Noir - 25/03/2007
" - Réédition salutaire d'un roman paru sous un autre titre en 1993, "Les moulins de Yalikavak" n'a pas pris une ride. À lire (ou à relire) tant pour le fond que pour la forme.
L'annonce, parue au Bulletin des communes de France est simple : "GROUPE FINANCIER INTERNATIONAL CHERCHE TERRAIN BORD DE MER - CINQUANTE HECTARES MINI - POUR INVESTISSEMENT LOISIR" et Serge Morvan en consciencieux secrétaire de Mairie de Saint-Baptistain en réfère à son maire, Jean Sybelle, dit le Pieux. Car la commune possède ces cinquante hectares, une réserve marécageuse nommée "Les Grèbes" en l'honneur des oiseaux qui y nichent. Cinquante hectares promis à un avenir radieux dans la profession de foi du maire, mais cinq ans après, rien n'a été fait... Ne serait-ce pas là l'occasion de sortir un beau projet et de viser le mandat supplémentaire ?
Alors on sort son téléphone, on appelle le "Groupe financier international" et on attend... Et qui débarque ? Nélias Amalamelou himself, le PDG de IBLG. Il est "très gros, très bronzé, il a des cheveux très noirs et une grosse moustache noire". Il parle fort, n'aime pas les obstacles, l'argent lui brûle les doigts et il et a de grandes idées pour cette réserve foncière... Mais pour qui sont ces grandes idées ?
"Mon sympathique mameluk se transformait en businessman pragmatique. J'eus dans la bouche un arrière-goût de manipulation. L'homme capable d'anticiper les réactions des ploucs de Saint-Baptistain n'était-il pas de taille à mener en bateau toute une province ?" Ce qui est beau, c'est que ce livre, initialement publié en 1993 (sous le titre "Ouragan sur les Grèbes"), n'a pas pris une ride tant ce qui y est dénoncé est toujours d'actualité. Hervé Jaouen, avec entrain (appréciez le style !) nous montre la perfidie des potentats locaux et le fonctionnement de leur petit microcosme. Les personnages - le trio Nélias, sa fille et Morvan en particulier - sont excellents, tout comme l'histoire qui se dévore d'une traite. Merci à Rivages d'avoir réédité cette petite perle écrite par une des grandes pointures du roman noir français. "
Christophe Dupuis - État-critique.com - 22/02/2009
" « Le lobbyiste avait la carrure par l’âge circonflexée d’un catcheur usé, les poignées d’amour d’un abonné aux notes de frais, la lippe morveuse d’un séducteur de secrétaires, l’œil bleu acier du raider et le sourire aussi glacé que les pages du magazine qu’il jeta négligemment sur la table basse afin que je voie son portrait en couverture : Prédateurs, le mensuel du chef d’entreprise né pour vaincre. » (p.156)
D’abord édité par Denoël, le livre sera republié chez Rivages / Noir (n°617). Les Moulins de Yalikavak, comme son titre ne l’indique pas, se déroule sur la côte atlantique entre la Vendée et Bordeaux, entre champs et mer, dans une petite commune tranquille, Saint Baptistain, dont « la population rurale » avait plaisir « à voir le verrat saillir la truie, l’étalon la jument et le beau-frère la belle-sœur » (p.14), jusqu’à ce que la tempête Nelias Amalamelou (« un sorcier (…) chaussé de bottes de sept lieues à semelles en chéquiers » – p.117) l’inonde avec son projet de marina golf thalasso en brassant des dollars comme d’autres la bière ou l’air. Narrée par le secrétaire de mairie Serge Morvan (qui ne va pas être insensible au charme littéraire et charnel de la fille de Nélias Amelamelou, nommée Lou), démiurge manipulateur, cette opération « investissement » va déchaîner la population locale, conseil municipal de gauche comme de droite et administré.e.s au centre, fonctionnaire poète des renseignement généraux et cadre aux dents longues de la chambre de commerce et d’industrie, zécologistes ornithologues et commerçants menacés…
C’est un bonbon acidulé que ce roman de la France des terroirs, de la démocratie directe et locale confrontée au libéralisme et modernisme débridés : on y est méchant avec délice, idiot avec ténacité, malicieux avec pragmatisme. C’est un enchantement de la langue, un plaidoyer de l’infra ordinaire du terrain labouré qui s’en laisse compter, le tout servi par une plume débridée bien trempée qui n’hésite pas à appeler la compromission de la corruption et une chatte une chatte, mais avec déviation, circonvolution et détours qui rendent la chose drôle et acérée sans être cynique ni méchante. Et l’idée de voir dans ce marigot une boîte de Pétri nationale ne fait pas que nous effleurer… Paver le paradis part toujours d’une bonne intention mais le béton engloutit aussi les bétonneurs. "
Hervé Jaouen | contact | mentions légales | concepteur site : Quimper Internet