Résumé :
La narratrice, une jeune romancière à la recherche d'un lieu calme pour terminer son texte, revient dans le village de son enfance et y retrouve le directeur de l'école pour qui elle écrivait des poèmes.
Peintre amateur, il lui propose d'étranges séances de pose : M. Hannibal, septuagénaire propriétaire de la grande demeure, peint bien la jeune femme, mais il le fait chaque jour dans une chambre différente et la séance de pose lui est prétexte au récit, en douze séquences suivant les douze chambres successives, du drame qui a obscurci sa vie.
Il a convolé avec une charmante Béatrice, pieuse fille de général. Las ! le destin a pourvu la jeune femme d'un hymen proprement impénétrable et le jeune homme, fort épris, a fait serment de ne pas chercher ailleurs le type de satisfaction que la fatalité lui interdit avec son épouse. Mais comme la nature a ses exigences, il s'agira pour M. Hannibal d'être inventif...
Il le sera, et c'est l'occasion, à chaque histoire et à chaque chambre - dont les murs sont recouverts de tableaux emblématiques, dira-ton, du thème central du récit du jour - de scènes délicieusement ciselées où un rai de lumière, un parfum, une matité de peau portent autant d'émotions que les gestes de plaisir.
Tout le roman érotique vaut par la qualité de l'écriture : celui-ci est un bijou d'humour et de virtuosité langagière. Jamais graveleux - M. Hannibal n'a rien d'un vieillard libidineux - Hervé Jaouen met au service de ce récit l'art du suspens qu'il tient de sa pratique du roman policier.
Extrait :
" Un bruit sec claqua comme le coup de règle d'un maître sur le pupitre de l'élève dissipé. Je sursautai et me retournai. Emporté, au point d'en perdre l'équilibre une fraction de seconde, dans la spirale d'un vertige semblable à celui que l'on ressent lorsque l'on chute, en rêve, au fond d'un précipice, je vis le clair-obscur se fendre en trois parties : un plumier de bois précieux incrusté de nacre qui venait d'être refermé (le bruit sec) ; de la libraire le chemisier diapré dont les reflets répondaient à ceux de la nacre du plumier ; le rai de lumière. La Portugaise se leva de sa chaise, se tourna vers la source lumineuse et j'eus la vision d'une tête et d'un buste comme tranchés de haut en bas d'un coup de hache. On entendit les sabots ferrés d'un cheval arrivant au trot. Une voiture s'arrêta devant la meurtrière et ce fut la pénombre. La jeune femme se dirigea vers moi. Ses yeux étaient clairs, sa peau brune, ses épaules larges, son corps puissant, ses hanches épanouies sous une jupe ample de cotonnade noire. Elle portait aux pieds des espadrilles dont les lanières encerclaient ses chevilles. Elle s'approcha et je sentis son parfum, mélange de vanille et d'encens, d'œillet et de cassis. Dans son visage ovale, aux lèvres presque négroïdes qui contrastaient avec un nez fin et droit, ses yeux en amande, d'un bleu céruléen, me scrutaient sans ciller. Ses sourcils étaient épilés et un trait de crayon soulignait le renflement des arcades et affirmait un front haut, dégagé par une coiffure qui tirait l'épaisse chevelure de jais en arrière, et son magnifique port de tête équilibrait la masse d'un lourd chignon retenu par des perles montées en épingles."
Critiques :
" - Hervé Jaouen dans les jardins d'Éros
Hervé Jaouen vient de s'offrir une petite récréation coquine, sous la forme d'un roman érotique : Les 12 chambres de Monsieur Hannibal. L'écrivain quimpérois, l'un des "prophètes du néo-polar", met dans couleur préférée, le noir, un joli point rose.
"Sois érotique !", soupirait sa muse depuis une bonne dizaine d'années. Hervé Jaouen, celui qui avait bousculé les règles du "polar à papa" avec La Mariée rouge et Quai de la Fosse, conservait dans sa mémoire d'écrivain une histoire secrète contée par une vieille demoiselle.
"Ce roman n'est pas né de l'envie d'écrire une histoire érotique, mais d'écrire une histoire où il y ait de l'érotisme. Cette histoire me fut racontée il y a longtemps par une cliente de la banque où je travaille à Quimper, à mi-temps. "Hervé, vous qui êtes écrivain, me dit-elle, j'ai une histoire pour vous". Et le me narra l'histoire de Monsieur Hannibal."
À 85 ans, notre petite dame fut un jour invitée à prendre le thé chez un vieux monsieur fort respectable. Remarquant sur les murs de nombreux tableaux représentant la même femme à plusieurs âges de sa vie, la dame en reçoit l'explication de son hôte : cette femme fut mon épouse. Une épouse passionnément aimée, mais d'un amour que la physiologie - un hymen réfractaire, rétif à toute possession biblique - condamnait à demeurer platonique. En clair, imaginatif.
Frémissements
A partir de cette histoire vraie, le romancier joue avec humour sur le thème : Comment s'en tirer tout de même en douze leçons.
Les 12 chambres de Monsieur Hannibal se lit comme un roman policier, grâce à un dispositif bien ficelé. Dans chacune des chambres, illustrée par le thème - la déviation - du jour, Hannibal, qui n'a rien du vieux libidineux, raconte les étapes de son drame à une jeune romancière dont il se cache, derrière un tableau où il la peint. Hervé Jaouen s'est subtilement coulé dans ce personnage féminin qui est chargé de restituer l'histoire, avec toute l'objectivité requise. Il apparaît assez vite que l'objectivité n'est pas son tempérament ? "C'est rigolo de se mettre dans la peau d'une femme. Les psychanalystes vous diront que la plupart des romanciers possèdent une sensibilité féminine masquée par leur personnalité apparente !"
Hervé Jaouen voulait montrer qu'il n'est pas le "faiseur de polar" qu'on dit, mais un écrivain sensible à tous les frémissements de la vie. Les 12 chambres de Monsieur Hannibal nous offrent une jolie escapade hors des turpitudes du siècle, dans les jardins d'Éros. "
Daniel Morvan - Ouest-France - 12 septembre 1992
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