Présentation :
La nouvelle est un genre que Hervé Jaouen a pratiqué avec économie au cours de ces vingt-cinq dernières années. Son premier recueil, Merci de fermer la porte (Denoël) date de 1999. Le deuxième, Petites trahisons et grands malentendus (Diabase), lui a valu de figurer dans la sélection finale du Goncourt de la nouvelle en 2009.
Ici, plutôt que de nouvelles il faudrait parler de « novellas », un terme qui qualifie un format adapté à des histoires suffisamment riches en personnages et rebondissements pour donner des textes d’une certaine ampleur, lesquels auraient pu donner des romans, mais à condition de tirer à la ligne, ce que l’auteur n’a pas souhaité faire. La « novella » permet à la fois de satisfaire le goût du lecteur pour la durée et de donner au développement la force d’un roman court, d’un roman « coup de poing ».
Merci de fermer la porte avait pour thème le suicide, Petites trahisons et grands malentendus la confiance trahie. Les personnages principaux de ce nouvel ouvrage ont en commun d’avoir été, à un moment ou à un autre de leur vie, déroutés, désorientés, désaxés…
Extrait :
" Certains soirs, à l’heure où le soleil s’enfonçait dans la Loire, le lent défilé de nuages entre les créneaux du toit-terrasse de L’Anguille agile pouvait susciter chez un esprit imaginatif l’illusion d’une ronde de sentinelles de la Légion étrangère sur les remparts d’un poste avancé repris à des guerriers berbères. Lesquels, le temps qu’ils avaient occupé le fortin, auraient imprimé au-dedans leur marque mauresque ? Le décor intérieur de la bâtisse en donnait bien l’impression. Tout autour des murs chaulés, à hauteur d’homme, courait un listel en faïence bleu touareg. Au sol, sur le damier ocre et blanc en terre cuite, étaient réparties des tables aux dessus carrelés et des chaises au bois laqué carmin. De grands foulards bayadère avaient été jetés sur des sofas réunis en carré dans le coin des joueurs d’échecs que rafraîchissait en été un ventilateur colonial au chrome écaillé. Derrière le bar, il y avait un rideau de perles qu’écartaient, au tintement de la clochette posée sur le comptoir, les mains baguées et les poignets lourds de bracelets d’une créature vêtue à l’orientale d’un pantalon bouffant serré aux chevilles et d’un boléro brodé qui laissait voir, au centre du charmant arrondi de son ventre éburnéen, un rubis fiché dans le nombril.
Le surnom d’Aïcha seyait on ne peut mieux à l’accoutrement de cette jeune personne. Le khôl approfondissait son regard et le rouge à lèvres bleu saphir donnait à sa bouche comme un avant-goût de figue mûre. La voussure de sa lèvre supérieure rappelait les arcades du sérail, les colorations noir corbeau accentuaient la pâleur de son teint de rouquine, née Marie-Thérèse Le Gallou dans une ferme de Guémené-sur-Scorff.
Elle entretenait la légende d’une enfance au Maroc et d’années de formation à Marseille, alors qu’elle avait fait ses classes de barmaid à Nantes, dans un bar louche du quai de la Fosse, où elle épargna comme une fourmi dans le but de se mettre à son compte. En descendant la rive droite du fleuve elle n’eut pas un grand chemin à parcourir pour reprendre une affaire assoupie, un Repos des pêcheurs qu’elle relança à l’enseigne de L’Anguille agile. Au vu des événements ultérieurs, c’était là l’aveu, inconscient peut-être, de son habilité à se faufiler dans les âmes crédules, ou bien aussi, et plus probablement, une allusion fanfaronne à l’élasticité de son corps de danseuse qui, à la belle saison, faisait chavirer les cœurs sur le ponton amarré en face du bistrot. "
Hervé Jaouen | contact | mentions légales | concepteur site : Quimper Internet